L’homme aux mille bouteilles

L’homme aux mille bouteilles

Dans les ruelles paisibles de Beaune, capitale des grands crus de Bourgogne, le silence des caves dissimule parfois bien plus que des trésors vinicoles. Pendant plus d’une décennie, au cœur de maisons illustres comme Albert Bichot et Joseph Drouhin, un homme passait inaperçu. Il était technicien de maintenance. Discret, ponctuel, invisible. Personne ne l’aurait soupçonné de quoi que ce soit. Et pourtant…

Cet homme, la cinquantaine grisonnante, n’avait ni casier judiciaire, ni passé trouble. Juste une passion dévorante : le vin. Mais pas pour la dégustation. Pour la possession. Le geste. L’objet. La cave.

Tout avait commencé par une bouteille, peut-être deux, subtilisées lors d’un déplacement. Un geste simple, presque innocent. Et puis, au fil des années, c’est devenu une habitude. Un carton par-ci, un autre par-là. Des noms prestigieux défilent : Meursault, Puligny-Montrachet, Corton-Charlemagne, Chambertin, Clos de Vougeot… Il ne revend rien. Il garde. Il range. Il aligne les flacons avec une minutie presque sacrée.

Il finit par transformer sa propre maison en cave de collection. Trop étroite. Alors il en stocke chez sa mère. Toujours dans le plus grand secret. Personne ne voit rien. Aucun inventaire ne semble trahir ses gestes. Les années passent.

Et puis un jour, en février 2023, tout s’effondre.

Un contrôle interne, une anomalie sur une caisse de bouteilles. Une suspicion. Les enquêteurs interviennent. Chez lui, ils trouvent des centaines de cartons. À l’intérieur : plus de 10 000 bouteilles, estimées à plus de 640 000 euros. Une fortune cachée dans le silence des sous-sols. Mais aucune trace de trafic. Aucune revente. Rien.

Interrogé, l’homme ne cherche pas à fuir. Il dit simplement, avec une sincérité désarmante :

« Je voulais juste avoir une belle cave. C’est ma passion. Je ne les buvais même pas. »

Les experts psychiatres parlent de collection compulsive. Certains évoquent une forme de kleptomanie, sans volonté de nuire.

En août 2023, le tribunal de Dijon rend son verdict : un an de prison avec sursis10 000 euros d’amende, et l’obligation de restituer les bouteilles non endommagées. L’homme ne retournera plus travailler dans le monde du vin.

Aujourd’hui, dans les caves de Beaune, l’histoire circule à voix basse. Elle amuse autant qu’elle inquiète. Car elle parle de passion, certes, mais aussi d’obsession. De cette frontière floue entre l’amour d’un terroir… et le besoin irrépressible de le posséder.

Et dans l’ombre des fûts, certains se demandent encore : comment a-t-il pu faire tout cela… sans que personne ne s’en rende compte pendant plus de quinze ans ?

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comments (4)

    • Paul
    • 2025-09-17 19:06:47
    Incroyable histoire… on a presque l’impression de lire un roman, sauf que c’est bien réel !
    • Romain
    • 2025-09-17 19:07:08
    Ce qui m’étonne le plus, ce n’est pas la quantité, mais le fait que personne n’ait rien remarqué pendant toutes ces années.
    • Jules
    • 2025-09-17 19:07:30
    On sent à la fois la passion et l’obsession… c’est fascinant et un peu inquiétant en même temps
    • Miguel
    • 2025-09-17 19:08:18
    Un Clos Vougeot Grand Cru 2018 du Domaine Charlopin, c’est une très belle bouteille : puissant, raffiné, avec un vrai potentiel de garde. Un vin d’exception pour une grande occasion.

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